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  • Le roman de Sigrid Undset "Kristin Lavransdatter" se vendait, voici... bon nombre d'années, sous le titre de "Christine Lavransdatter". Le Samsa de Kafka est récemment redevenu Gregor au lieu de Grégoire. On ne traduit plus les titres des films américains: inutile pour "Titanic", of course, "Gladiator" est aussi bien du latin, mais "Seven" ou "Match point" ou.. ou...? Un film français se pare d'un titre anglais, pour mieux séduire sans doute. Paresse, impuissance, goût de l'exotisme, respect de l'original, snobisme, fétichisme, amour du vrai?... C'est aussi un fait que "She wore  a yellow ribbon" se vit naguère changé - sauf erreur - en "Poursuite héroïque"!


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  • SI  J’AVAIS  SU

     

    Si j’avais su ton cœur volage,

    Des volutes de ton ramage

    Et de ta peau couleur d’été

    Aurais-je avec naïveté

    Tant savouré le voisinage ?

     

    Ce pendentif de coquillage

    Battant au bord de ton corsage,

    M’aurait-il à ce point tenté,

    Si j’avais su ?

     

    Mais quand ta voix m’eut envoûté,

    Quand ton corps s’offrit en partage,

    À ton cou mes mains ont jeté

    Tout l’amour dont, à rester sage,

    Mon cœur n’eût jamais fait usage

    Si j’avais su.


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  • "Du domaine des Murmures"     (C. Martinez)

    Étrange roman.

    Titre prometteur... et trompeur: bruit et fureur plutôt que chuchotements.

    Joue sur tous les tableaux: fantastique médiéval, fascination du hors-norme, de l'excessif, de l'effroyable (l'inceste, la réclusion volontaire, la mutilation de l'innocent...), sentimentalisme (mère et enfant, marginaux amoureux), et même l'ironie (le faux miracle de l'agneau) ou la pédagogie (la femme en ce temps-là...).

    Le style est ferme, parfois remarquable (telle longue phrase p.146-7), jamais trop chargé de médiévismes pour sembler une reconstiturion finalement artificielle (comme on l'observe dans Fortune de France, par exemple, où, quelle que soit la virtuosité de l'auteur, son application à "montaigniser" ou "rabelaiser" finit par lasser).

    Et il est vrai que l'insertion du récit de la désastreuse croisade dans les visions de la recluse est un tour de force narratif.

    Mais aucun personnage ne me frappe par sa vérité, ne me touche vraiment, ni ce Lothaire, soudard mué en trouvère, ni ce père qui ne trouve d'exutoire que dans la violence, ni cette Bérangère énamourée, ni cette Esclarmonde, confortable recluse dotée d'une cheminée et nourrie par une serve dévote.

    S'agit-il de démystifier l'aveugle foi des simples de jadis? Ou de séduire les amateurs d'extrême?

    La page que j'aime vraiment, c'est celle où la vieille nourrice sermonant la recluse lui rappelle les réalités sociales et les cruautés de la vie :"N'envie pas trop notre misère, c'est elle qui nous force à rester serrés les uns contre les autres.[...] Tu ne sais pas de quoi tu parles. Je connais la force des choses..." (p.150-151)


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  • « Superbe… », chuchote à présent, pour peu qu’elle oublie le doute instillé ou ravivé par la voix de Nadia, « superbe… » chuchote sa mémoire à Viviane quand elle s’immobilise au seuil du salon, saisie de l’illusion que ses pupilles se dilatent d’aise. « Absolument superbe ! » proclame la mine épanouie de Gilles lorsque, sitôt rentré, il s’accorde une pause pour contempler sa cheminée. Mais parfois, si son regard méditatif accroche, sur la tablette, quelques grains de poussière rengorgés sous la lumière oblique, il appelle: « Viviane ! » et malgré la diplomatie de la forme, malgré le mot tendre - « Ma chérie, tu n’as pas eu le temps d’épousseter ? » -, elle sent sa gorge se nouer, tant l’éventualité qu’on néglige le fruit de son labeur paraît le contrarier. Une autre femme s’insurgerait, se ferait moqueuse, enjôleuse peut-être - ou s’empresserait. Entre flambée de colère et mortification, Viviane se pétrifie. L’idéal de perfection domestique de son mari, elle l’a embrassé par amour, sans prévoir à quel degré d’exigence il se hausserait. Les prouesses ménagères de Nadia adolescente, qu’elle a cent fois entendu vanter, ne lui inspirent que froideur ; c’est la Nadia d’aujourd’hui, pour qui ses enfants priment tout, qu’elle chérit à l’égal d’une sœur - plus que sa propre sœur, en vérité. Mais comment espérer d’un homme guindé dans son utopie qu’il comprenne ce que celle-ci a d’absurde, d’écrasant, et qu’il consente à transiger ? Viviane se croit tenue de fournir une excuse : «Je viens de rentrer, juste avant toi », ou bien : « Ta sœur m’a demandé de garder son fils ; tu sais comme il… ». Pendant qu’elle s’empêtre dans le récit des dernières frasques de l’enfant, Gilles balaie d’un souffle sans réplique l’outrecuidante souillure et, du revers des phalanges, effleure complaisamment le poli du bois, comme on caresserait une joue. Il arrive aussi que par chance - oui, Viviane a dû en venir à l’interpréter comme un signe de la clémence du sort - l’appel de son mari la surprenne dans la salle de bain. Elle s’empresse de crier: « Je suis là ! » tout en ouvrant la douche en grand. Mais une fois sur deux, Gilles ne peut se retenir de toquer à la porte : « Chérie ! doucement l’eau, s’il te plaît ! » C’est grâce à lui que la salle de bain rutile à l’instar d’une neuve : est-ce une raison pour s’autoriser, en faveur des choses, à humilier l’être aimé ? Puis, honteuse, Viviane se gourmande. Non, Gilles n’a pas songé à l’humilier, il sait trop qu’une délicatesse instinctive l’empêche de brusquer les objets aussi bien que les gens; il a parlé innocemment, mû par une inquiétude compréhensible, emporté par l’étourderie de ceux à qui leur étoile épargne ou refuse le doute. C’est à elle que la confiance fait défaut, c’est elle que ses soupçons accablent - elle et son ingratitude.


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