• À défaut d’une seconde chambre, Gilles s’escrime à aménager le garage - chape de ciment fin, un luxe de rangements… Il sort de ses travaux trop harassé pour se plaindre que Viviane s’attarde sans lui devant la télévision. Douche, dîner, et au lit, c’est son programme. Il dort comme une souche. Sauf le dimanche : vers la fin de l’après-midi, il s’enferme dans la salle de bain. S’il s’y affaire presque sans bruit, au point qu’elle s’inquiète parfois du silence et gratte à la porte, il en ressort parfumé, l’air engageant, la voix câline : « On regarde un film ensemble, celui que tu veux, et puis… » Sur sa peau, l’eau de toilette qu’elle lui a offerte embaume le cèdre et la lavande. Elle se sent doucement, irrésistiblement fondre… Dans ce glissement spontané de tout son être vers la volupté, devrait-elle déplorer son talon d’Achille? Serait-elle mieux avisée de se draper - en toute ignorance de la comédie antique - dans un rôle de Lysistrata, ou de grimper sur des cothurnes de tragédie, ou, plus banalement, de brandir l’excuse d’une capricieuse migraine pour arracher à son mari des preuves d’amour moins égoïstes? Sans aller jusqu’à l’ériger en principe ou en panacée, peut-être même sans se l’avouer, elle se persuade que la douceur des gestes et l’harmonie des corps rachètent tout, et parfois, quand Gilles s’est endormi, tant que la chaleur de l’étreinte détend encore le réseau des renoncements qui comprime sa joie de l’avoir connu, choisi, épousé, l’espoir revient la visiter: à l’automne prochain, la chambre sera prête. Peu importe s’il se présente d’autres tâches - elle ne se leurre pas -, oui, peu importe, elle assumera seule tous les soins de l’enfant, elle ne réclamera pas d’aide, n’en souhaitera pas, n’en espèrera pas - pourvu qu’il vienne, cet enfant, qu’on lui permette de venir ! Comment Gilles n’y consentirait-il pas ? En quoi cela le dérangerait-il ? Elle s’endort presque sereine, presque résolue à ruser s’il le faut - pas assez hardie pour oser tout de suite.


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  • Novembre s’avance : la fonte brûlante des radiateurs, Viviane ne se lasse pas de la tâter avec délices, d’y coller son dos, de faufiler ses doigts glacés entre les tuyaux ; leur chaleur si tangible, si réconfortante lui porte comme un présage d’amollissement universel, cependant qu’au dehors s’installe un hiver précoce. Matin et soir, la bise griffe la peau, les cristaux de gelée crissent sous ses pas quand elle traverse la pelouse. « Tu pourrais faire le tour par l’allée », relève Gilles, qu’on devine, depuis la fenêtre de l’étage, occupé à déblayer le garage. En anorak et après-skis - vestiges d’avant la maison, sans doute -, un bonnet tiré jusqu’aux mâchoires, il entasse dans un camion des bidons vides, des ferrailles, des bouteilles, les planches. Viviane renonce à protester. Mais si le froid ne la tracasse plus, son obsession d’enfant la tourmente assez pour que, le garage vide, elle se risque à demander : « Et les autres chambres ? - Il vaut mieux attendre le printemps. Pour m’y mettre maintenant, je devrais couper le chauffage. » Si elle entend l’hypothèse comme une menace gratuite - que pourrait mener à bien le plus habile artisan dans le soir glacial ou pendant ces week-ends où l’on frissonne rien qu’à ouvrir les volets ? -, elle va critiquer pour la première fois, d’une voix dont l’amertume excède sa volonté, le choix qu’a fait Gilles de rénover l’archaïque chaudière et ses annexes vétustes, quand des radiateurs électriques... « Trop cher pour le moment. Plus tard peut-être.» Plus tard ! Elle n’en peut plus d’entendre rejeter sans cesse dans un avenir imprécis la réalisation de son rêve, un rêve si humble, si commun, qu’elle s’en veut de n’oser lutter davantage pour lui, mais où prendre la témérité de le revendiquer? Elle n’est pas sotte : elle a peur. Ce que le regard ou la plume acérée d’un tiers dissèque sans trembler, elle le porte en elle comme un chaos brûlant et gluant, dont il faudra bien qu’un jour jaillisse le bouillonnement. Elle met à retarder ce jour presque autant d’aveugle opiniâtreté que son mari à repousser celui d’avoir un enfant.


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  • "Hepta" signifiant 7 en grec, il est évident qu'un heptasyllabe est un vers de 7 syllabes.

    C'est le vers utilisé dans le poème "Mini-drame".

    C'est un vers léger, plus rare que l'octosyllabe.

    Cependant Corneille l'emploie pour ses "Stances à Marquise":

                   Marquise, si mon visage

                        A quelques traits un peu vieux,

                       Souvenez-vous qu'à mon âge

                       Vous ne vaudrez guère mieux...

    Dans "L'invitation au voyage", Baudelaire l'associe au vers de 5 syllabes:

                 Mon enfant, ma sœur,

                         Songe à la douceur

              D'aller là-bas vivre ensemble

                         Aimer à loisir,

                         Aimer et mourir

               Au pays qui te ressemble.

    Association qui a l'avantage de recréer des rythmes pairs - décasyllabe et alexandrin.


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  • MANET  et  DÜRERMANET  et  DÜRER                         

          

     

    MANET Le déjeuner sur l'herbe                                                   DÜRER Touffe d'herbe

     

           

       

     

     

                                   


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         EN MARGE D’UN TABLEAU

     

    Étrange déjeuner sur l’herbe

    Que l’œil d’un satyre a surpris !

    Pose impavide, chair superbe,

    Une femme en fait tout le prix.

     

    Sur son front, point d’autorité,

    À ses lèvres, point de pli triste,

    Le regard, pas même irrité :

    Sait-elle que le monde existe ?

     

    Calme affreux, d’être sans rival !

    Ni vergogneuse ni charmante,

    La placidité d’un cheval

    Que nul éperon ne tourmente.

     

      

      

       MINI DRAME

     

    L’enfant a saisi dans l’herbe

    Un criquet, jouet sans prix ;

    L’insecte, un instant surpris,

    S’échappe d’un bond superbe.

     

    Lors à mon autorité 

    Se plaint une voix charmante,

    Et sans trêve on me tourmente

    D’un vain désir irrité.

     

    Enfant, sais-tu qu’il existe

    Plus d’un coureur sans rival,

    Criquet, chevreuil ou cheval ?

    Rien ne sert d’en être triste !

     

     

      

     

     

     


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