-
"Mes fantaisies se suivent, mais parfois c'est de loin, et se regardent, mais d'une vue oblique.
C'est l'indiligent lecteur qui perd mon sujet, non pas moi; il s'en trouvera toujours en un coin quelque mot."
(Montaigne)
" - Mais de quoi s'agit-il, Clarence? Puis-je le savoir?
- Oui, quand je le saurai: car je proteste que je n'en sais rien encore."
(Shakespeare)
votre commentaire -
LIVRES D’ENFANCE
Plus gras que crête de dindon,
Dans le premier - celui des contes -,
Gonfle si rouge ! un édredon
Que mes terreurs à fuir sont promptes :
Un loup niche sous son bedon ;
Tourne donc la page, Grand-mère,
Passe l’ogre et le chat botté,
Et montre à mon doux petit frère,
Pour rabattre un peu sa gaîté,
Le doigt griffu de la sorcière !
Des alphabets, j’en ai bien trois :
Noires, les lettres du plus grave,
Mais bistres, ses dessins, je crois ;
Le second brasse à son étrave
Sur la mer des mots tant d’émois !
Le plus mince à chaque lettrine
Entortille oiseaux et bouquets ;
Cols d’ibis, courbes de glycine,
Flamants fiers et galants muguets,
Un monde aimable s’y décline.
Et vous, livres d’or ou d’argent,
Bibliothèques vertes, roses,
Recueils des fables propageant
Prodiges et métamorphoses
D’un flambeau toujours résurgent,
Livres de l’enfance où s’embrase
Un amour qui ne finit pas,
Des sabots altiers de Pégase
Feux follets semés ici-bas,
Brandons naïfs d’une humble extase,
En vous le désir et l’espoir,
En vous l’infini de l’espace
Et l’éternité du grand soir,
Livres qu’on lisait comme on passe
De l’autre côté du miroir !
votre commentaire -
-
Passent les semaines de septembre où, des rayons du magasin, s’envolent les blousons couleur de châtaigne ou de chocolat, les lainages gonflés de tendre tiédeur, escortés des écharpes, des moufles, des bonnets voués aux discordes et aux chahuts. Dans la maison sans manteaux largués à la volée, sans pépiements de moineaux impatients, Gilles, qui en a fini avec la chambre, révise le circuit de chauffage. Que ce soit la fatigue des journées ou les spasmes de regrets inexprimables qui rendent plus sensible à Viviane la fraîcheur des soirs d’automne, elle se propose un jour d’octobre d’allumer du feu dans la cheminée. « Avec quel bois ? » L’intonation presque hargneuse de Gilles l’a surprise sans la démonter : « Les vieilles planches au fond du garage. J’arriverai bien à les scier. - Attends ! Elles pourraient servir. - À quoi ? » Il avance de vagues besoins d’étagères pour ses outils, de coffrages pour son béton. Perçoit-il ce que sa résistance inattendue présente de bizarrerie, ce qu’elle suscite de déconvenue et d’appréhensions sourdes? Mais Viviane craint trop de le blesser ou de s’effondrer, elle se sent trop gauche dans l’affrontement pour le pousser à bout. Elle s’entortille cérémonieusement dans le châle le plus douillet qu’elle ait pu dénicher et laisse passer quelques jours avant de revenir à la charge : « J’ai vu une annonce pour du bois à brûler. Je m’occupe de la commande et de le ranger, si tu veux. » La sensation la suffoque que Gilles - mais peut-être s’exagère-t-elle sa vivacité - a manqué bondir de son fauteuil. « Et où comptes-tu le mettre ? Le garage est plein. On ne va pas râper un morceau de pelouse avec un tas de bûches. Et les branches, tu imagines le désordre, les saletés ? » Cette fois, l’aiguillon de la frustration lui donne la force de tenir tête : « Mieux vaut un peu de désordre que se geler ! - Ma chérie, tu verras si je ne te réchauffe pas, moi… » Il s’est levé, il la prend dans ses bras, il rit - de bon cœur ou par astuce ? Quand elle se le demanderait, quand elle en voudrait à la faiblesse de son cœur et de sa chair, elle succombe. Le moyen de ne pas s’en remettre aux mains de Gilles, aux promesses de son rire ? Et si, pour une fois, il en oubliait toute prudence, toute précaution ? « Ce que femme veut… » : l’adage ne pourrait-il, dans la fièvre d’une réconciliation, saisir quelque chance de s’accomplir ? Et tandis que Gilles élude, sans même l’avoir pressenti, son innocent espoir, Viviane peut-être, au plus noir de ses ressassements, va jusqu’à s’en reprocher le machiavélisme …
votre commentaire -
Arachné
Moi qui filais divinement
Et m’en vantais sans modestie,
Dans son jaloux emportement
La déesse m’a convertie
En tisseuse de filaments
Que le balai jette aux orties.
votre commentaire