• LA MAISON

    Passent les semaines de septembre où, des rayons du magasin, s’envolent les blousons couleur de châtaigne ou de chocolat, les lainages gonflés de tendre tiédeur, escortés des écharpes, des moufles, des bonnets voués aux discordes et aux chahuts. Dans la maison sans manteaux largués à la volée, sans pépiements de moineaux impatients, Gilles, qui en a fini avec la chambre, révise le circuit  de chauffage. Que ce soit la fatigue des journées ou les spasmes de regrets inexprimables qui rendent plus sensible à Viviane la fraîcheur des soirs d’automne, elle se propose un jour d’octobre d’allumer du feu dans la cheminée. « Avec quel bois ? » L’intonation presque hargneuse de Gilles l’a surprise sans la démonter : « Les vieilles planches au fond du garage. J’arriverai bien à les scier. - Attends ! Elles pourraient servir. - À quoi ? » Il avance de vagues besoins d’étagères pour ses outils, de coffrages pour son béton. Perçoit-il ce que sa résistance inattendue présente de bizarrerie, ce qu’elle suscite de déconvenue et d’appréhensions sourdes? Mais Viviane craint trop de le blesser ou de s’effondrer, elle se sent trop gauche dans l’affrontement pour le pousser à bout. Elle s’entortille cérémonieusement dans le châle le plus douillet qu’elle ait pu dénicher et laisse passer quelques jours avant de revenir à la charge : « J’ai vu une annonce pour du bois à brûler. Je m’occupe de la commande et de le ranger, si tu veux. » La sensation la suffoque que Gilles - mais peut-être s’exagère-t-elle sa vivacité - a manqué bondir de son fauteuil. « Et où comptes-tu le mettre ? Le garage est plein. On ne va pas râper un morceau de pelouse avec un tas de bûches. Et les branches, tu imagines le désordre, les saletés ? » Cette fois, l’aiguillon de la frustration lui donne la force de tenir tête : « Mieux vaut un peu de désordre que se geler ! - Ma chérie, tu verras si je ne te réchauffe pas, moi… » Il s’est levé, il la prend dans ses bras, il rit - de bon cœur ou par astuce ? Quand elle se le demanderait, quand elle en voudrait à la faiblesse de son cœur et de sa chair, elle succombe. Le moyen de ne pas s’en remettre aux mains de Gilles, aux promesses de son rire ? Et si, pour une fois, il en oubliait toute prudence, toute précaution ? « Ce que femme veut… » : l’adage ne pourrait-il, dans la fièvre d’une réconciliation, saisir quelque chance de s’accomplir ? Et tandis que Gilles élude, sans même l’avoir pressenti, son innocent espoir, Viviane peut-être, au plus noir de ses ressassements, va jusqu’à s’en reprocher le machiavélisme …


    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :