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            AU  BOIS  DORMANT

     

        

    Tout est paisible et lent. Le vent berce les feuilles,

    Et la lumière doucement bouge dans l'air,

    Comme une onde pensive et pâle se recueille

    À l'orée de matins immobiles et clairs.

     

    L'oiseau vaque à son nid, l'araignée à sa toile,

    Des fourmis en cortège emperlent le vieux tronc,

    Et les sentiers furtifs, aux candides étoiles

    De l'anémone, entrelacent le liseron.

     

    Tout repose au palais. Dès la porte, les gardes,

    L'œil dans l'ombre du casque et l'épaule au vantail,

    Leurs poings perclus rivés au fût des hallebardes,

    Dorment sur pied, tels d'antiques épouvantails.

     

    Dans la cour, des valets, des pages, des soubrettes,

    Disposés çà et là, comme en un jeu d'enfant

    Santons de porcelaine ou soldats d'opérette,

    Rêvent, regards et pas figés, cheveux au vent.

     

    Tandis que la princesse en velours et dentelles

    Et le dauphin dans son habit d'azur et d'or,

    Friponne et chenapan statufiés, révèlent

    Quelque grimace, en douce, au nez de leurs mentors,

     

    Sur le trône alangui, le roi, près de la reine,

    Bénit, d'un sceptre en berne et d'un sourcil courtois,

    Le bal interrompu que méduse et qu'enchaîne,

    Révérence en suspens, le silence des bois.

     

     

    - Et la fée, à regret rengainant sa baguette,

    Songe: "Dormez cent ans, mille ans, l'éternité!

    Dormez sans haine et sans désir, sans peurs secrètes,

    Dormez comme s'endort la terre sous l'été!

     

    Dormez, je vous en prie, oubliez que j'existe!

    Que l'ange le plus doux berce vos corps lassés,

    Qu'il distille à vos cœurs ses doux flots de harpiste,

    De ses chants les plus doux, qu'il charme vos pensers!

     

    Dormez! Qu'à votre appel je puisse me soustraire,

    Que j'ose loin de vous, sans remords, m'en aller,

    Et que mon âme enfin, sereine et solitaire,

    Oublie jusqu'aux doux noms dont vous me harcelez!"

     

     


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    DURE  RÉALITÉ                                                         

     

    Quand l’amour tisserait les parfums de la terre

    Pour revêtir son corps d’un linceul embaumé,

    L’être que dans ce monde on a le mieux aimé

    N’en finirait pas moins putride et solitaire ;

     

    Tu peux croire, puisant aux flots d’un vieux lavoir,

    Dérober l’élixir qui ranimer l’aurore,

    Mais tu n’exhiberas que son spectre sonore :

    Le vrai passé jamais ne se donne à revoir ;

     

    Et moi, fier décideur de sagesse ou démence

    Pour avoir parcouru du savoir quelques champs,

    J’entends rire les dieux à ces efforts touchants

    D’un atome empêtré dans l’univers immense.

           

         SUAVE MARI MAGNO…

     

     Lucrèce, contemplant du port l’âpre tourmente,

    Prend pitié des esquifs que l’orage a surpris,

    Et chante le bonheur, humble, aisé, mais sans prix,

    Qu’on gagne à réfréner l’illusion charmante :

     

    « L’or, le succès, dit-il, le pouvoir sans rival,

    L’aventure, et l’amour  - si tu crois qu’il existe -,

    Le sort jette sur tout, de son œil torve et triste,

    Quelque revers plus prompt que l’écart d’un cheval!

     

    Mais prends des fruits, du vin,  savoure-les sur l’herbe,

    Et, goûtant de mes vers la tendre autorité,

    Propose-les pour baume à ton cœur irrité,

    Au bord d’un lac limpide où gît le ciel superbe ! »

       


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         L'IDÉALISTE

     

     

    Si vous l'aimez, que ce ne soit

    ni pour la rondeur de ses lèvres,

    ni pour la pourpre de ses doigts,

    ni pour sa fougue ou pour sa fièvre;

     

    si vous l'aimez, n'allez pas voir

    sur son front des lis et des roses,

    dans ses yeux le sombre miroir

    où des amants perdus reposent;

     

    inutile, pour que vos mains

    prennent la courbe de ses hanches

    et la mesure de ses seins,

    de grimer les jours en dimanches.

     

    Si vous l'aimez, elle aimerait

    que vos yeux guettent sur sa bouche

    la forme grise des mots vrais

    dans l'esbroufe des phrases louches,

     

    que la couleur de votre voix

    irrigue de miel vos paroles,

    que votre regard quelquefois

    de ses faiblesses la console,

     

    et que la courbe de vos bras,

    plus douce que l'ombre du saule,

    quand le monde s'écroulera,

    repose autour de ses épaules.

            

         

            RÉALISME 

      

    De ma fenêtre au ras du toit,

     

    Je n’attends pas, comme on le croit,

     

    Que vienne l’oiseau de légende

     

    Ni que le ciel en pluie épande

     

    L’or que prit Zeus pour masque étroit.

     

     

     

    Ni mon front sur le verre froid

     

    Ni mon esprit - bien trop adroit -

     

    Ne rêvent d’un cœur qui dépende

     

    De ma fenêtre.

     

     

     

    Et quand la pulpe de mon doigt

     

    Dans la buée ouvre un détroit

     

    Et le festonne et l’enguirlande,

     

    Mon œil n’escompte pour provende

     

    Que voir clairement ce qu’on voit

     

    De ma fenêtre.

        

           

     

     

     

     


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    AUTRE

     

     

    Si je n’étais pas moi, que serais-je ?

    Plus beau, plus jeune, plus heureux, plus sage ?

    Ou, rebut du monde et des hommes,

    traînerais-je parmi les mal lotis

    ma douleur ?

     

    Si je n’étais pas moi, que ferais-je

    de mes mains, de ma voix, de mon âme ?

    Des crimes dont le nom seul dévaste la bouche,

    ou l’œuvre qui doucement ranime

    la constance humaine ?

     

    Si je n’étais pas moi, que dirais-je ?

    Des mots sans suite et sans valeur,

    ou des paroles libres comme le vent et l’eau,

    qui rafraîchissent l’âme altérée de caresses,

    ou les phrases austères de la sagesse

    qui redressent

    l’être épuisé de n’avoir souffert que vétilles ?

     

    Si je n’étais pas moi, que pourrais-je

    changer au monde ?

    Plein d’audace, prendrais-je à bras le corps

    sa pâte grossière et lourde

    pour en pétrir le pain des anges ?

    Ou mon cœur tremblant sans cesse craindrait-il

    qu’une langue brûlante de sa lave se tende vers

    le trésor que couve la tendresse de mes bras ?

     

    Je ne suis que moi

    qu’effare l’infini possible de l’autre.

    Mais si je n’étais pas moi,

    quelle sorte d’autre serais-je ?

    Et si j’étais autre,

    cet autre moi voudrait-il encore être moi ?

       

     


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    BÉRÉNICE  (1)

     

     

    Mort, dis-tu, messager? Titus est mort?

    Deux ans... Deux ans déjà, deux ans à peine

    Qu'une galère emportait loin du port

    Jusqu'à l'espoir qu'une autre m'y ramène!

     

    Depuis, leurrant sa soif de réconfort,

    Mon âme jette aux flots sa plainte vaine,

    Sans que jamais vague ni vent ni sort

    D'un simple écho donne trêve à sa peine.

     

    Titus est mort, je vis; toi, messager,

    Toi qui, chargé de mon cri trop léger,

    As tant de fois bravé la mer stérile,

     

    Où t'enverrai-je désormais? Vers quel

    Havre ou quelle escale, vers quel asile

    De ma douleur porteras-tu l'appel?

     

     

      

      

    BÉRÉNICE (2)

     

      

    Messager, que dis-tu? Le prince, à Rome, mort ?

    N’était-ce pas hier - deux ans peut-être, à peine… -

    Qu’exempte de l’espoir qu’une autre m’y ramène,

    La  trirème fuyant m’emportait loin du port ?

     

    Leurrant depuis ce jour sa soif de réconfort,       

    Mon âme au fil des flots jetait sa plainte vaine

    Sans obtenir jamais, comme trêve à sa peine,

    Le moindre écho de l’onde, ou des vents, ou du sort.

     

    Titus n’est plus, je vis ; et toi, dont l’endurance

    De mes mots belliqueux accompagnait l’errance

    Pour que sans fin l’empire entende mon malheur, 

     

    Où t’envoyer chercher, émissaire docile,  

    Un havre pour mon deuil, pour ses cris un asile,

    Vers qui porter demain l’appel de ma douleur ?   

     

     


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