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    LE FLEUVE DANS LA VILLE

     

     

    Reptile apprivoisé qu’habille de velours

    La main lisse du vent sur ses airs d’Orénoque,

    Le fleuve dans la ville étire ses flots lourds,

    Froissant en plis rieurs sa moirure équivoque.

     

    Les hommes sur ses bords ont dressé leurs palais,

    Accroché leurs balcons, déroulé des halages ;

    L’érable et le lilas dévalant des remblais

    Brodent sur sa peau verte un leurre de feuillages.

     

    On le voit, quand avril dore son dos épais,

    Au pied des ponts suspendre indolemment ses ondes,

    Où les frontons naïfs se contemplent en paix,

    Réjouis d’y trembler en formes vagabondes.

     

    Cependant, le flux râpe et la glèbe et le mur ;

    Rongeur sournois au flanc aveugle de la rive,

    Bribe à bribe il emporte, en un trophée obscur,

    Chaque jour un peu plus de leur substance vive ;

     

    Et si l’orage, un soir, du dragon somnolent

    Devait gorger la panse à crever les écailles

    Et qu’en remous bourbeux sa lymphe s’écoulant

    Submergeait les jardins, les maisons, les murailles,

     

    Quel indomptable esprit planerait sur les eaux ?

    Quel souffle éveillerait quelle bouche féconde

    Qui rechante sans peur dans l’âme des roseaux,

    Pour qu’à nouveau la ville ait pignon sur le monde ?

     


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    TABLEAU DE PRINTEMPS

     

      

     

    Dans la chambre tiède et vermeille,

    L’enfant dort au creux du berceau ;

    Sur le balcon, tant qu’il sommeille,

    Venez, ma toile et mon pinceau !

     

    Près de la fenêtre entr’ouverte,

      L’oreille au guet,

    Je tempère d’une ombre verte

      L’or d’un bouquet.

     

    Heure entre les heures sereine,

    Quand l’azur rayonnant du ciel

    Sur les ondes de son haleine

    Disperse des parfums de miel…

     

    À mes doigts poursuivant leur rêve

      Voici mêlé

    Un rayon dansant que soulève

      Le souffle ailé,

     

    Puis, furtive et folâtre intruse,

    La brise enlaçant le rideau

    Secoue en averse profuse

    La lumière sur le landau :

     

    L’enfant sous la clarté câline

      Ouvre les yeux

    Et jase au rayon qui lutine

    Ses doigts joyeux,

     

    Et moi, dehors, je m’émerveille

    Lorsque des volets demi-clos

    S’égrène jusqu’à mon oreille

    Son rire en grêle de grelots.

      

     


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    LES  AMANTS  

                                 

     

    Les verra-t-on, furtifs, dans l’ombre solitaire,

    Sous l’idéale nuit d’un avril embaumé

    Où le vent jette au cœur avide d’être aimé

    La verte exhalaison des encens de la terre ?

     

    Leurs pas glissent ensemble à travers bois et champs ;

    Nul ne sait quel éclair de candide démence,

    Les a, tout éperdus de cette audace immense,

    Déliés ce soir-là de scrupules touchants ;

     

    Mais ils s’enfuient, muets tant leur âme est sonore,

    Faisant fi de fournée ou de linge au lavoir,

    Oublieux d’êtres chers qui comptent les revoir,

    Et rêvant que pour eux dorme à jamais l’aurore.

      

        

     

    SEPTIÈME CIEL

     

    De ma fenêtre tu verras,

    Quand je te tiendrai dans mes bras,

    Le ciel dorer sa voûte immense

    Et pour notre amour qui commence

    Dresser cent décors d’opéras ;

     

    La chair confite des cédrats

    Et la chaleur de l’hypocras

    Scelleront pour toi la clémence

    De ma fenêtre ;

     

    Et sans brillants de vingt carats,

    Sans brocarts, martres ni surahs,

    Quand du bonheur pur la semence

    Aura fleuri dans ma romance,

    À jamais tu te souviendras

    De ma fenêtre.

     


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    PRÉSENCE

     

    Tant qu’autour de leur nom la bouche

    Pose la ferveur des baisers,

    Tant que le sang brasse, farouche,

    Les sentiments inapaisés,

     

    Tant que la nuit voit leur visage

    Sous les paupières s’éveiller,

    Tant qu’une larme fait naufrage

    Dans la tiédeur de l’oreiller,

     

    Tant que la mémoire bavarde

    Ranime leurs pas et leurs voix,

    Tant que l’œil au-dedans s’attarde

    Sur leurs manières d’autrefois,

     

    Tant que la main vide s’égare

    À palper l’ourlet d’un chapeau,

    Tant que dans le songe on s’effare

    D’encore avoir touché leur peau,

     

    Les morts ne sont pas morts, ils vivent

    Au fond de nous, philtres, poisons

    Dont les ferments longtemps dérivent

    Au bord des mots que nous disons ;

     

    Les morts ne sont pas morts, ils errent,

    Sans se plaindre, sans murmurer,

    Entre les souvenirs qu’enterrent

    Nos cœurs fatigués de pleurer ;

     

    Les morts ne sont pas morts, ils frôlent

    De leurs tendres frémissements

    Nos vœux, nos soupirs, ils s’enrôlent

    Dans les drames de nos serments ;

     

    Les morts ne sont pas morts, leurs rêves

    Hantent la nuit des profondeurs

    Où nos âmes quêtent des trêves

    À leurs impossibles douleurs ;

     

    Les morts vivent pour qui les aime

    Malgré le temps et les frimas,

    Ils dorment au chaud du poème

    Qui redit que tu les aimas.

     


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    TOMBEAU

     

      

    Tu ne verras plus le printemps ;

    Tu ne sens pas frémir la brise

    Ni vibrer le matin que grise

    Son reflet d’or dans les étangs.

     

    Tes yeux sont fermés, ton oreille

    Est sourde à la chanson des nids ;

    Tous les jours pour toi sont finis

    Quand la terre en riant s’éveille.

     

    Tu ne verras pas le printemps,

    Ni l’été royal, ni l’automne ;

    De ta voix que l’ombre emprisonne

    L’écho s’essouffle au fond du temps.

     

    Roide ta main, froid ton visage ;

    Des sèves montantes l’effort

    Évite le marbre où s’endort

    Le souvenir de ton courage.

     

    Veilleur frêle aux feux inconstants,

    Avant que la mort l’éternise,

    Le cœur, d’y trop songer, se brise :

    On peut ne plus voir le printemps.

      

     


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