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    CHERS  ÉPHÉMÈRES

     

     

     

    Ils traversent nos jours sans qu’y pèsent leurs ombres,

    Attentifs dans l’instant et sitôt oublieux,

           Liés à  nous si fort, si peu !

    Car de peur qu’un excès de ferveur les encombre,

           On les chérit du bout des yeux.

     

    Savent-ils quels désirs sur leurs traces s’élancent ?

    Comme le souffle ami d’un bonheur en partance,

           Leurs pas, leurs voix,  leurs doigts sont doux,

    Humbles effleurements, délice du silence

           Que leur bonté pose sur nous.

     

    L’un panse une blessure, un autre ouvre une voie

    Par où s’écoule enfin le poison du mépris,

           Un autre entend l’écho des cris

    Qui firent, mieux qu’un bec acharné sur un foie,

           Saigner l’espoir d’être compris.

     

    Ils sont sur notre route un semis de lumières ;

    S’ils reviennent parfois effleurer nos frontières,

           Sourires frêles du passé,

    Le temps nous les reprend de jalouse manière

           - Sans que leur nom soit effacé :

     

     Ils ont foré dans l’âme une grotte secrète

     Où retourner en rêve et rêver de retours

           Vers les saisons d’intime fête

    Lorsque mains ou regards composaient de velours

            L’heure digne d’être toujours !

     

     

             

      


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    NUAGES  D’ÉTÉ

     

     

    Dans le ciel immensément bleu,

    Plus légers que flocons de mousse,

    Trois nuages qu’un zéphyr pousse

    Vont flottant à la queue leu leu.

     

    Le soleil en vain se courrouce,

    En vain darde un arc ombrageux,

    Ses traits de leur ventre neigeux

    Ne tirent pas une secousse :

     

    Ils vont leur train que rien n’émeut,

    À peine si le vent rebrousse

    Les franges de leur blanche housse

    Ou de fils de lait mêle un nœud.

     

    Nuages dont les lentes courses,

    L’été, sont caresse à nos yeux,

    Vienne octobre ouvrir grand les cieux,

    De vos flancs renaîtront nos sources...

      

      


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                 ET POURTANT…

     

     

         Ils sont si grands, tous ces poètes !

    Tu les lis, les relis, ton âme s’en nourrit ;

    Que pèsent près des leurs tes phrases inquiètes ?

        Ton vers grince où le leur sourit.

     

        Des mots ils domptent l’harmonie,

    En cent couleurs les sons se divisent pour eux ;

    Ta plume à la douleur de la pire avanie

        N’offre de tons que langoureux.

     

        Mais les cris ténus des mésanges

    Seraient-ils une offense à ce sanglot des anges

    Que la nuit sent monter au cou du rossignol ?

     

        Si tu n’oses chanter, fredonne 

    - Et ne va pas guinder en morgue d’Espagnol

    La fierté d’un peu d’art que la chance te donne !

      

      


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     BALLADE SUR TROIS BALADINS

     

     

     

    L'un fut jadis traîne-misère,                             

    Voire larron dit la rumeur,                              

    Au surplus jaillissant trouvère                          

    Dont s'éternisent les douleurs                          

    Quand vibre ici résonne ailleurs,                     

    De flûtes en violoncelles,                                

    L'air que sifflait ce maraudeur

    Qui fut orfèvre en ritournelles.                         

     

    L'autre, qu'il fût ou non sincère,

    S'aimait moins joyeux que charmeur,              

    Triste et doux jusqu'en son mystère,               

    Berçant la lune sur son cœur                           

    Comme on bercerait un bonheur

    Enfui dans un battement d'ailes ;

    C'était un prince de rêveurs,

    Enlumineur de ritournelles.

     

    Le troisième crie la colère

    De ceux que bâillonne la peur ;

    Que lui importe de déplaire

    S’il peut conjurer le malheur !

    Sur tous les tons, vif ou moqueur,

    Ou chaud de tendresse immortelle,

    C'est un oiseau des plus chanteurs,

    Un virtuose en ritournelles.

     

    Ami lecteur, que ta faveur

    A leur chant ne soit pas rebelle :

    C’est le seul vœu du rimailleur

    Qui fit ce bout de ritournelle.

      

      


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    BIBLIOTHÈQUE

     

     

    J’ai sept ans et je viens d’entrer à l’école de mon village : toute petite, classe unique, deux portes et quatre fenêtres, un poêle dans l’ovale de sa grille, deux tableaux verts, six paires de pupitres sur deux files. Quant au maître, vingt-deux, vingt-trois ans peut-être, mais c’est Monsieur, dont la blouse grise en impose au moins timide.

     

    Je sais lire, écrire et compter, et même - jusqu’à la lettre M - tracer des majuscules sans trembler ni quitter la ligne. Du monde, je connais, outre les bois et les champs d’alentour, deux trois églises, autant de bourgs, le nom de l’Indochine, les travaux et les jours, le chien, les vaches, quelques machines qui dorment l’hiver sous les poutres du hangar, d’où pend la balançoire.

     

    Chaque samedi soir, le maître ouvre l’armoire aux livres. Elle veille à longueur de semaine, droite comme un i, plus sage qu’une image,  derrière le tableau des phrases et des problèmes. Brune, vitrée, fermée à clé, patiente elle attend. Par les transparences de son ventre, l’œil caresse les titres et l’or et l’azur et l’ivoire et l’incarnat des dos. On rêve, on imagine ; et quand elle offre à deux battants son trésor, on  reste coi dans l’espérance d’un nouveau fragment de l’univers.

      

      


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