• PAROLES DE GISANTE

     

     

    PAROLES DE GISANTE

     

      

     

    « Vous approchez ; vos pas, sur la fraîcheur des dalles,

    Posent les frôlements de ferveurs inégales ;

    Celui qui vient complaire au culte du passé

    Laisse flotter vers nous un œil déjà lassé ;

    Un autre à son regard tient greffé l’oculaire

    Aveugle à tant de feux étouffés sous la terre ;

    Comme insensible à l’ombre éparse dans la nef,

    L’étourdi n’a pas même ôté son couvre-chef,

    Et l’ignorant nous rêve au gré de la légende

    Que nous forge une plume avide de prébende.

    Tous, vous guignez de haut nos corps roides et froids,

    Nos mains dévotement jointes sur une croix,

    Nos fronts muets étreints dans l’étau des couronnes

    Et nos bliauts sculptés en longs plis monotones.

    Sous les carcans de pierre, entendrez-vous les cœurs

    Battre l’ardent rappel de fièvres, de fureurs ?

    Savez-vous que je fus duchesse et deux fois reine ?

    Que j’osai soulever ma rancœur souveraine

    Contre l’époux qui dort à présent près de moi ?

    Et que j’ai vu périr mon fils, tout juste roi,

    Puis ma bru, vaine veuve aux entrailles stériles ?

    Voyez-nous reposer côte à côte, tranquilles,

    En paix dans le tombeau comme jamais vivants,

    Quand notre orgueil jetait ses cris aux quatre vents !

    Dormons-nous ? Rêvons-nous ? Qui sait ? Sommes-nous même

    Dans l’ombre, quelque part, un peu plus que l’emblème

    De siècles révolus aux emportements fous ?

    Nuit et jour nos gisants, sous vos yeux ou sans vous,

    Ne font-ils qu’opposer leur dur poids de Carrare

    À la voûte infinie où le songe s’égare ?

    Ou notre âme parfois vient-elle obscurément

    Verser à leur ennui son doux chuchotement,

    Sous l’éternel regard qui de partout peut-être,

    Du vitrail, de l’ogive ou des tréfonds de l’Être,

    Voit comme une fragile et frivole entité

    Ceux qui sont en ce monde et ceux qui l’ont quitté,

    Nous, spectres cuirassés de marbre incorruptible,

    Et vous, passants d’un jour que le temps prend pour cible ? 

    Vos pas déjà lointains, qu’emportent-ils d’ici ?

    Un souvenir bientôt recouvert d’un souci,

    Confuse image au bord d’une vague pensée,

    Étincelle dans l’ombre à l’instant effacée…

    Vous oublierez, nous dormirons encore un peu,

    Sans émois, sans soupirs, sans tendresse et sans feu,

    Puis nous disparaîtrons nous aussi, quand les pierres,

    Marbre même et granit, finiront en poussières. »

     


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