• DEUIL DE REINE

     

     

    - Sœur Dolorès?

    - Mademoiselle Delagny?

    - Devrons-nous toutes nous installer à l'hôpital?

    - Je ne crois pas. Pas toutes et pas très longtemps en tout cas. Si j'ai bien compris, celles qui sont très choquées ou plus fragiles iront en observation quelques jours dans une clinique, le temps de voir ce qui reste habitable ou peut le redevenir assez vite. Quelques-unes ont de la famille qui accepte de les recevoir, au moins momentanément. Vous, mademoiselle, on dirait que vous n'allez pas trop mal, mais vous n'avez pas beaucoup de parents, je crois?

    - Plus personne. Ma sœur Maria s'était retirée au couvent en même temps que moi; elle ... m'a quittée il y a deux ans, juste avant votre arrivée. Elle avait 89 ans. J'en ai presque 85.

    - Vous ne les faites pas, mademoiselle. Si toutes nos pensionnaires étaient aussi valides que vous... Notre mère espère que les Sœurs de Saint-Vincent pourront nous héberger jusqu'en septembre. Elles prennent des étudiantes en pension pendant l'année scolaire. En ce moment, les chambres sont libres.

    - Cela nous rajeunirait. Vous savez que j'étais enseignante, ma sœur?

    - Je sais même que vous avez les Palmes Académiques!

    - Beaucoup de professeurs les ont. Je crains qu'elles n'aient disparu avec le reste. Tout a brûlé en haut... J'avais gardé la commode de ma mère, et mon bureau. Et toutes les photos... Les meubles, ce n'est rien. Mais les papiers... Quand nous avons vendu la maison de nos parents, ma sœur et moi, nous avions trié ceux qui nous tenaient à cœur. Tout sera perdu,  sœur Dolorès.

    - Dieu nous apprend à nous dépouiller. Il nous y oblige parfois.

    - Oui, ma sœur, mais c'est... Je boirais bien un peu plus de ce thé, si je ne dois en priver personne.

     

    Un esprit aussi malin qu'Asmodée ne risquait pas d'ignorer que le couvent des Sœurs de Saint-Vincent abritait, derrière ses hauts murs inchangés depuis des décennies, des chambres claires et confortables: nul besoin de forer toitures et cloisons pour savoir ce qui s'y passait, d'autant que de vastes fenêtres ouvraient sur un parc centenaire, que les services d'urbanisme s'étaient empressés de classer parmi les espaces verts inaliénables de la ville. Tout le mois d'août, les regards délavés par le flot des années se reposèrent dans les frondaisons denses des marronniers et des tilleuls, les pas précautionneux s'égaillèrent en toute quiétude à l'ombre des allées. Pour une partie des rescapées, les souvenirs de la nuit d'incendie s'estompaient, balayés par ces vacances imprévues dans un bain de nature providentiel. Sur quelques-unes pourtant, le charme  agissait peu.

      

      

     


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