• POÈME LONG POUR WEEK-END À RALLONGE

      

     

    LE  PALAIS  DES  SONGES

     

     

     

    Les songes, dit Homère, en lui trouvent naissance,

    Mais ce palais, ce nid, ce creuset qui condense

    L’invisible pour l’œil prisonnier de la chair,

    En quel lieu prend-il forme et de quelle substance ?

    S’érige-t-il en tour au tréfonds bleu de l’air,

    Ou gonfle-t-il un mont de sa protubérance ?

     

    De l’onde primitive ayant fait son métal,

    Dans l’abysse muet, sous quelque obscur cristal,

    Couve-t-il un trésor de mouvantes méduses ?

    Ou creuse-t-il l’énorme vide sidéral

    Et, trou noir de l’espace, en images profuses

    Inverse-t-il du temps le décompte fatal ?

     

    Est-il grotte d’embruns ou donjon de nuages,

    Balcons de brume au flanc d’escarpements sauvages,

    Tourelles de granit, clochetons de corail,

    Labyrinthe infini sous le front de vieux sages,

    Dédale de vaisseaux sous l’écorce, éventail

    D’impalpables reflets aux confins des orages ?

     

    Nul ne le sait, nul n’a sondé ses profondeurs,

    Tout ce qu’apprend Homère aux affamés d’ailleurs

    C’est que l’antre du songe ouvre vers nous deux portes,

    D’inégales vertus dissemblables vecteurs.

    L’une est de bel ivoire, où s’enflent mille sortes

    D’êtres confus tordant leurs étranges splendeurs ;

     

    Sous les pampres tressés en féroce spirale,

    Le géant aux cent bras étreint l’hydre acéphale,

    La sphinge, la chimère et le cheval ailé,

    Écaille, plume et poil d’une blancheur lustrale,

    S’embrassent en un corps bizarrement mêlé

    Que lorgne une gorgone aux doux yeux de crotale.

     

     

     

     

     

     

    Et quand l’ivoire pur entrouvre son pertuis

    Pour livrer à l’ombreuse épaisseur de nos nuits

    Du peuple du sommeil les troublantes figures,

    Il ne jette à foison dans nos esprits séduits

    Qu’appâts d’erreur flatteuse et traîtrises d’augures,

    Leurres d’un sort jaloux, fiel de dieux éconduits.

     

    Loin du superbe ivoire et de son faste insane,

    L’autre porte est de corne lisse et diaphane ;

    Lorsque le rêve en sourd, sans fracas, sans apprêt,

    Ne crains pas qu’un démon en corrompe l’arcane,

    Ni qu’un vice latent en brouille le secret,

    Ni qu’y perle un venin dont l’aigreur le profane :

     

    L’humble corne d’Homère ouvre un passage étroit,

    Impropre au spectre qui ne parle et marche droit ;

    Sa transparence éclot en songe secourable,

    Dont le discernement se nourrit et s’accroît,

    Car le vrai, seul, en vient, et son masque de fable

    Porte un prudent avis au cœur qui le reçoit.

     

    Mais, dis-tu, qui se fie encore à ces présages ?

    Ce sont là d’un aveugle archaïques mirages !

    Les temps nous ont appris qu’en nos propres désirs,

    Aux ruminations de nos propres ombrages,

    Le rêve s’enracine, et que les souvenirs

    Rameutent leurs regrets en carnaval d’images.

     

    Crois donc ce qui te plaît, le poète, le psy,

    Les tarots, les oiseaux, et les astres aussi,

    Nostradamus ou la diseuse d’aventure ;

    Mais pour qui veut du songe éclaircir le souci,

    Homère et son palais de l’âme ont plus d’allure :

    On peut rêver d’y croire, ou faire comme si.

     

     

     


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