• LA MAISON

    Bien qu’une ondée de lassitude s’abatte sur elle, emportant son courage, elle s’impose un dernier effort : « Si on ne fait pas de feu, si on ne peut rien poser dessus, elle sert à quoi, cette cheminée ? » Ses bras dénoués accueilleraient encore un élan de repentir, ses mains se tendraient pour recevoir le nain et le rasseoir sur la poutre. Mais Gilles, trompé par le calme de la voix autant qu’enfermé dans sa propre logique, tente seulement de l’amadouer. Que de sursis ne lui a-t-il pas ainsi arrachés! Cette fois, c’est comme à distance qu’elle l’entend promettre, pour bientôt, de beaux objets, des étains, des porcelaines, ce qu’elle voudra. Elle ne perçoit que comme un frôlement fâcheux la caresse du ton, l’écoulement pressant des mots. Elle reconnaît, sans même s’irriter de sa viscosité de limace familière, l’invitation à temporiser, le sempiternel prétexte: « On ne peut pas tout avoir à la fois. » Elle laisse Gilles s’enliser, lutter contre la glu du silence, s’arc-bouter enfin sur la phrase couperet : « Ce n’est pas une raison pour mettre n’importe quoi là-dessus », cependant que sa main libre polit amoureusement la surface de la poutre et que sa paume épouse l’arrondi de l’angle. Elle rive un œil hostile sur cette main : « Dîne tout seul. Je suis fatiguée. Je vais me coucher. - Viviane… » Dans cette brusque déroute, elle pourrait saisir sa revanche, mais l’idée même, le désir même d’une victoire l’ont abandonnée. L’écœurante lassitude qui plombe ses épaules lui permet tout juste de délivrer le nain des doigts qui ne savent qu’en faire et de refermer doucement la porte sur ses talons. Quand Gilles se glisse à son tour dans le lit, elle feint de dormir, le dos tourné, le nez dans une oreille de Simplet.


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