• DEUIL DE REINE

     

     

    Il n'y en eut pas une de blessée ni même de sérieusement incommodée par la fumée, tant fut preste et sûre la réaction. Toutes les vieilles dames se trouvèrent en quelques instants regroupées sur le trottoir d'en face, hébétées, assourdies par la sirène des pompiers, serrées qui contre une bonne sœur qui par un bras inconnu, tandis que la supérieure comptait, avec un sang-froid dont nul ne sut s'il était naturel ou conquis sur l'émotion, le troupeau de ses ouailles - retraitées et religieuses - et, pour rassurer son monde, remerciait Dieu à très haute voix de le trouver au complet du premier coup.

    L'incendie dévasta le second étage. L'eau des lances, puis les cataractes d'une averse heureusement brève rendirent inhabitables pour plusieurs semaines les chambres du premier. Les deux ailes du  rez-de-chaussée souffrirent à peine.

     

    - Ma mère?

    - Sœur Marguerite?

    - Le commandant des pompiers se propose d'appeler l'hôpital. Il faudrait mettre nos pensionnaires à l'abri.

    - Certes, il le faut. Le plus vite possible.

     

    - Ma mère?

    - Madame?

    - Pardon de vous interrompre, mais... Je tiens le salon de coiffure Chez Francette un peu plus bas dans la rue. Je peux l'ouvrir, ainsi que l'appartement derrière. Et les voisins du dessus sont prêts à en faire autant. Vous pourriez utiliser le téléphone du salon.

    - C'est beaucoup de dérangement.

    - Ma mère, je vous en prie! Ces dames reprendraient tranquillement leurs esprits, on leur préparera des boissons chaudes, le médecin s'occupera d'elles s'il faut, et vous...

    - Et je pourrais joindre leurs familles tout de suite, les reloger au mieux, peut-être. L'hôpital n'est pas l'idéal.

    -  Naturellement, vos sœurs aussi ...

    - Je crois bien que je vais accepter. C'est une offre très généreuse, madame, soyez-en remerciée au nom de toutes. Sœur Marguerite, voulez-vous passer le mot? Je vais parler au commandant des pompiers.

     

    Par la vitrine inopinément illuminée de Chez Francette, Asmodée aurait vu les fauteuils invités, d'une chiquenaude, à tourner le dos aux miroirs. Et les miroirs, tous spots éteints, recueillirent dans la pénombre de leurs profondeurs les reflets confus de nuques grises, d'auburns factices, de chignons en déroute, d'étoles de laine sombre. Ce qu'ils ne saisissaient pas et que personne ne s'attardait à remarquer, c'étaient les visages creusés, les mains tremblantes sur les tasses, visages et mains auxquels l'affairement paisible de la coiffeuse, une tisanière dans la main droite et dans la gauche une assiette chargée de biscuits, rendait peu à peu les expressions et les manières de mise à l'heure banale du thé. Sauf les miroirs, le même genre de scène s'ordonnait à l'arrière et au-dessus de la boutique. La supérieure, munie d'un annuaire et de la liste que la sœur Marguerite à l'infaillible mémoire venait de dresser, procédait à la distribution de ses naufragées entre les divers havres dont plusieurs coups de fil lui avaient d'ores et déjà garanti l'accueil.

      

      

     


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