• La suite, on l’imagine - avec beaucoup moins de latitude inventive, tout de même, que ne serait tenté de l’avancer un lecteur impulsif : Nadia habite dans les immeubles entre la ville et les pavillons, et fréquente la même supérette que tout le voisinage : c’est la seule du secteur. Qui plus est, le hasard et surtout la commodité ont voulu que ce soit à l’entreprise de maçonnerie de leur père qu’on  ait naguère passé commande d’une  terrasse et d’un auvent, travaux de peu d’intérêt pour lui, mais qu’avant sa retraite, néanmoins, il acceptait d’effectuer chez les gens du coin. Il en subsiste de vagues liens avec ses enfants. Et des ruptures, on a assez vécu pour en avoir vu plus d’une et pour reconstituer  le cheminement de celle-ci. Qu’on invente quelques détails ne la rend ni plus ni moins désolante.

     

             Lignes pures, finitions sans défaut, la cheminée est vraiment superbe. « Superbe ! Superbe ! » égrène en un paresseux refrain le défilé des amis et des voisins conviés à l’admirer. « Superbe, admet Nadia, Gilles s’est surpassé. » Pour qui connaît de longue date la sœur de Gilles, pour qui se rappelle avec quelle fermeté elle a tenu la maison désertée par leur mère et s’émerveille de sa mansuétude présente envers la bohême - revirement en réalité sans grand mystère : la naissance de ses enfants lui a révélé des priorités autrement vitales -, pour quiconque saisit les nuances de la voix et des mots, le compliment ne résonne pas sans ambiguïté.


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  • LA  MAISON

     

     

     

    Ce qu’on n’a pas vu, on le reconstitue à partir des bribes glanées à droite à gauche, à la station service, dans les boutiques du petit centre commercial. Même dans ce genre de banlieue provinciale, peuplée de bric et de broc, on finit par connaître des gens, on parle avec eux de ce qui tranche sur la routine. Et ces deux-là se sont donné tellement plus de mal que la moyenne ! Bien qu’on habite tout à côté, on les connaît à peine, on les a peu fréquentés parce qu’une haie haute et drue sépare les jardins, vastes comme on les préfère dans les zones résidentielles ; mais rien qu’à passer matin et soir devant chez eux, rien qu’à jeter un coup d’œil en ouvrant les volets à l’étage, on ne pouvait pas ignorer le changement. Quand on s’est installé, il y a plusieurs années, la décrépitude de la maison voisine avait déjà commencé: tuiles de guingois, traînées bitumeuses sur le pignon, herbe jamais coupée, séchant sur pied. On se souvient des volets restés clos pendant des mois entiers, un ou deux ans de suite peut-être, on a remarqué le ballet des visites, le soir, le samedi. Puis, soudain, un matin de grand soleil, toutes les ouvertures béantes, un grondement de tondeuse, une camionnette de location garée près du portail, devant une Clio beige défraîchie… Et un autre jour - un beau jour, dirait-on, si les choses avaient mieux tourné -, on les a vus, lui perché sur le toit, aussi à l’aise que s’il avait chevauché des faîtières toute sa vie, elle en salopette rose sur chemisier à fleurs, un foulard noué en turban autour de la tête, sans une boucle qui dépasse,  et au bout de ses bras nus, des gants jaune canari qui brossaient, dans un va-et-vient d’une vigueur plaisante, l’encadrement d’une fenêtre. On s’est habitué à leur présence chaque week-end, parfois le soir ; et quand ils ont emménagé - une table de cuisine, trois chaises, un matelas, un téléviseur,  une armada de paquets -, on a admiré, presque envié leur courage de camper au milieu d’un pareil chantier. Plus tard - plusieurs mois après -, on a trouvé dans la boîte aux lettres un carton d’invitation à un apéritif « pour pendre la crémaillère », ce qui était un peu plus qu’une image, comme on a pu le constater… Presque tout le quartier a défilé chez eux ce jour-là.


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